Biography
Anatoly Lvovich KAPLAN
(Tanhum ben Levi ben Itzchak)
Rogachev 1902 - Leningrad 1980
Introduction
La production artistique juive non-religieuse est absente à l’est jusqu’à la moitié du XIXe s.. Cette fin du XIXe s. connaît des perturbations et une fragmentation des valeurs traditionnelles juives qui résultent en un rejet de la culture juive traditionnelle. Le petit village ou Shtetl disparaît surtout après 1914 suite à la migration de la population vers les villes (Moscou, Petrograd, Kiev...), due à une vague de paupérisation croissante des couches sociales inférieures. En 1915, on abolit l’interdiction de résider hors de la zone permise qui correspondait à la zone annexée par l’empire russe à la Pologne en 1795, et le phénomène d’urbanisation va s’étendre à partir de 1920.
Jusqu’à cette époque, la représentation du Juif était l’oeuvre des non-juifs. Le début de l’expression artistique juive met fin à ce monopole et permet l’appropriation de l’image de soi, de sa représentation et la création d’un espace culturel symbolique qui n’appartient ni à la religion ni à l’ Autre. Il s’agit d’une violation d’un tabou religieux qui confère à l’artiste un aspect révolutionnaire; l’art va dès lors reconfigurer la culture traditionnelle sortie du contexte directement religieux.
Les bouleversements historiques du XXe s. en Russie vont néanmoins apporter des changements dans cette quête qui ne cessera de se définir tout au long de ce siècle dans un pays où les forces d’attraction et de rejet des minorités, des Juifs en particulier, fluctuent en fonction de la situation politique.
Les expressions culturelles juives sont parfois admises: c’est le cas chez Kaplan parce qu’il privilégie une démarche tournée vers le passé.
Vie et oeuvres
Anatoly Lvovich KAPLAN est un artiste exceptionnel dans une société qui n’encourageait pas l’expression de la culture juive. Il n’a pas le tempérament d’un révolutionnaire, mais ne répond cependant pas aux exigences de l’art officiel, notamment au réalisme soviétique. Il est un des rares à être resté toute sa vie dans cette société en travaillant en dehors des grands courants artistiques du XXe siècle sans être interdit par le gouvernement.
Il naît dans la petite ville de Rogachev en Biélorussie. Fils et petit-fils d’un boucher, il devient à 16 ans professeur de dessin dans une des premières écoles crées par le pouvoir soviétique.
En 1922, il s’installe à Leningrad où il est envoyé par le gouvernement et étudie la peinture à l’Académie des Arts (WCHUTEMAS) jusqu’en 1927. Plusieurs courants y sont représentés. Il ne se sent pas véritablement attiré vers les nouvelles vagues de l’époque.
En 1929, le gouvernement envoie des artistes en voyage d’étude dans les kolkhozes, et Kaplan part en Biélorussie. Ses dessins montrent le type humain en vogue à l’époque dans l’art soviétique, alors au service de la propagande et destiné à la masse.
En 1937, le Musée Ethnographique de l’Etat à Leningrad lui commande une série d’oeuvres sur la région autonome juive du Birobidjan. C’est à ce moment là qu’il s’applique à la technique de la lithographie.
Dans son premier cycle graphique Kasrilovka (1937-1940), titre d’un récit de Sholem Aleykhem, il s’inspire de sa ville natale Rogachev.. Le thème de sa ville natale comme centre affectif de son passé et comme symbole du Shtetl reviendra tout au long de sa vie et sera une source d’inspiration permanente.
En 1939, il devient membre de l’Union des Artistes Soviétiques (créée en 1930); cela lui permet de se faire engager à l’Atelier Expérimental de Lithographie à Leningrad.
Sa famille et lui sont évacués en 1941 vers l’Oural du nord à Tschussowoi suite au siège de Leningrad. Il travaille comme professeur de dessin et se familiarise avec les paysages industriels et la nature; il utilise la technique de l’aquarelle. Sa ville natale occupée par les nazis retient aussi toute son attention dans certaines oeuvres. En 1944, il retourne à Leningrad et réalise une série graphique sur cette ville détruite et les reconstructions en cours. Un album intitulé Leningrad pendant le blocus publié en 1946 en édition séparée et acheté par 18 musées de l’Union Soviétique, marque une étape importante dans le processus de reconnaissance de l’artiste.
Il illustre Tchékhov (L’homme en ouate) en 1947 et Korolenko ( Le musicien aveugle) en 1951. Il devient également dessinateur dans une usine de verrerie décorative en 1950-51.
Dans les années 50 et 60, on observe une tolérance des traditions folkloriques.C’est à ce moment-là, notamment à partir de 1953, qu’il commence à illustrer des oeuvres des trois grands écrivains de la littérature yiddish: Sholem Aleykhem, Mendele Moykher Sforim et Y.L. Peretz. Les oeuvres du premier écrivain retiendront tout particulièrement son attention: Le tailleur ensorcelé (1953-1957) qu’il a retravaillé dans les années 60, Tevye le laitier ( 1957-1961), Stempenyu (1963-1967) le Cantique des Cantiques (1962).
C’est en 1961 qu’a lieu à Londres sa première exposition et qui le fera connaître à l’ouest.
Entre 1966-1967, il illustre une aventure sentimentale d’un autre écrivain yiddish Mendele Moykher Sforim, intitulée Fishke le boiteux. Les écrits de Peretz sont abordés dans les écrits Nouvelles (1967-69).
Dans les années 70, il illustre Le moulin de Levin de I. Bebrovski (1975) et Nathan le sage de G. Lessing (1977).
En 1976, il refait une version épurée de Fishke le boiteux sous forme de gravures rehaussées de couleurs.
Il utilise plusieurs techniques lithographiques pour créer des différences de gradations de lumière et de texture. Kaplan développe dans chaque série un langage formelle et symbolique particulier.
Les couleurs vives deviennent extrêmement présentes dans ses gouaches à partir de 1958, notamment dans une série intitulée Chants folkloriques juifs (1958-1960) en gouache, tempera et peinture à l’huile suivie d’un second cycle du même nom mais lithographié (1962).
Vers la fin de sa vie, il s’applique à explorer de nouvelles techniques. En 1967, sous l’instigation de son ami et éditeur Isaak Zalmonovich Kopelyan, il crée plusieurs oeuvres en céramique monochrome et couleur. Ses premiers pastels datent de 1971 et les gravures (pointe-sèche) de 1973.
En 1977, il réalise une série de pointes-sèches illustrant les 11 chansons de poésie traditionnelle juive de Shostakovich. La peinture à l’huile, qui est sa formation académique première, retient son attention à partir de 1974. Il s’attelle aussi à la sculpture et réalise une série de portraits de personnages des écrits de Gogol: Ames mortes, Inspecteur, Mariage et Joueurs.
Un monde à soi: Kaplan et Chagall
L’artiste s’inscrit dans une lignée de travail amorcée par l’écrivain, poète et collectionneur AN-SKY (pseudonyme de Shlomo Zanvil Rappaport), lignée désireuse de créer un art national juif. Il organise à cet égard une expédition ethnographique en Ukraine au début de ce siècle. Ce sera une période très fertile pour le développement de la culture juive. AN-SKY sera suivi par des artistes comme El Lissitsky et Chagall. Cependant Kaplan n’intègre pas dans son travail les nouveaux styles dont le cubisme.
D’un point de vue thématique, il est proche des artistes tels que Marc Chagall, Issashar Ryback, El Lissitzky... Il aborde le thème du village juif et la vie juive dans la zone de résidence: le ‘Shtetl’, la vie religieuse, les petites gens chers aux écrivains yiddish, les scènes d’intérieur et d’extérieur, le tout dans une approche essentiellement intimiste sans recourir à l’onirisme ‘surréaliste’ cher à Chagall.
Comme Chagall, il a travaillé et abordé jusqu’à la fin de sa vie de nouvelles techniques, comme lui le passé est présent depuis le début, comme lui les thèmes qui lui sont les plus chers reviennent sans cesse sous d’autres formes, techniques, couleurs.
Ce sont aussi deux artistes d’une grande humanité mais contrairement à Chagall, Kaplan se situe dans la discretion plutôt que dans l’exhubérance et sa vision du Shtetl est plus ancrée dans la réalité que Chagall.
Réalité et symbole
L’originalité de Kaplan et son apport à l’art sont originaux et uniques. Sa vision est parfois naïve, sentimentale, romantique, mais dans l’ensemble l’approche de sa première période peut être qualifiée de réaliste, proche du sujet par son abord direct lequel se manifeste surtout dans ses dessins et fusains où les jours de fêtes, les rites de jouissance et de deuil, les scènes de rue du village, la vie et la mort sont représentés sans détours.
Dans ses illustrations d’oeuvres littéraires, il essaye cependant toujours de retrouver l’esprit de l’oeuvre et utilise alors une approche différente et spécifique à chaque auteur. Dans Fishke der Krumer, par exemple, il utilise une technique étonnante dont l’aspect poreux accentue l’idée du temps, de l’éphémère et fait référence à l’usure du temps et la mémoire. L’aspect lyrique et romantique surgit ainsi dans certaines oeuvres.
Son oeuvre évolue vers un langage symbolique plus important, un tracé plus sobre et si le souvenir est très réel dans ses premières oeuvres, les thèmes se fixent et se chargent d’une dimension immuable. Contrairement à la ligne, la couleur s’intensifie avec les années.
Le vocabulaire s’inspire des ornementations d’objets rituels, de pierres tombales, de synagogues et de documents religieux divers.
Kaplan est un artiste humble, sans grande prétention. Malgré l’environnement difficile dans lequel il a vécu, il a toujours continué à créer. Il n’a pas voulu révolutionner l’art mais, comme un artisan investi d’une mission, il a réalisé son travail sans se soucier du monde environnant et de ses modes.
Il a créé son propre monde, ce qui lui a donc permis de réinterpréter la réalité, sa réalité, liée d’abord et surtout au passé.
Et comme le dit Inessa Lipovitch*: son art sert l’humanité et contient une lumière de spiritualité et de bonté.
Zahava SEEWALD
*Anatoly Kaplan, Palace edition, St Petersburg, 1995, p. 46
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