Nul ne reconnaîtra les siens
Objet musée
Numéro d'inventaire : 16771
Titre : Nul ne reconnaîtra les siens
Dénomination contrôlée : Document
Désignation de l'objet : Tapuscrit de Benjamin Goriély « Nul ne reconnaîtra les siens », Paris, circa 1985
Dimensions : 29,0 cm x 21,0 cm
Mode d'acquisition : don
Source de l'acquisition :
Personnes/Organisations liées : Goriély, Benjamin
Datation (période) :
Date de production : 1980 - 1986
Provenance géographique : France, Paris (lieu de résidence de l'auteur)
Provenance géographique :
Informations historiques : Le parcours de Benjamin Goriély
en Belgique (1921-1930)
Littérature prolétarienne et nouvelle Russie
HUBERT ROLAND
p. 123-141
Texte intégral
Benjamin Goriély
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Avec l'aimable autorisation des archives de l'Alliance israélite universelle (Paris)
Au-delà de quelques milieux spécialisés, le nom du publiciste, traducteur et passeur
de littérature russe Benjamin Goriély (1898-1986) reste très largement méconnu. Il est
étroitement lié, dans la Belgique des années 1920, aux différentes formes de diffusion
des idées de la Révolution russe qui eurent cours à l’époque, de même qu’à la
perception de cet événement dans les milieux intellectuels et auprès d’un plus large
public. S’étant progressivement frayé un chemin au sein de quelques réseaux et autres
cercles de socialisation, Goriély participa à l’essor d’une littérature prolétarienne en
Belgique, avant de quitter le pays au moment où s’épuisèrent les éphémères revues
Tentatives et Prospections1, qui avaient porté l’émergence du projet de cette littérature.
1
Le présent article retracera, sous forme monographique, le parcours des années
belges de Goriély. Pour ce faire, je me baserai sur le tapuscrit inédit de ses souvenirs, de
même que sur ses contributions à différents organes de presse et revues littéraires. Une
attention particulière sera portée à la médiation de la « nouvelle » culture russe, issue
2
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Esquisse biographique
de la révolution, dont il est un acteur, parmi d’autres, dans le champ intellectuel belge.
Néanmoins, quoi qu’il arrive paré d’une aura de « témoin » de la révolution, on ne peut
réellement considérer Goriély, à l’époque, comme un acteur de tout premier plan de la
réception des Lettres et de la culture russes en Belgique. Celle-ci semble en effet
prendre des formes extrêmement diverses et fragmentées, via une multiplicité de lieux
de transfert et de réseaux, suscitant notamment – comme on s’en doute – de fortes
divergences idéologiques. Au sein de cette polyphonie, la voix de Goriély apporte
toutefois une tonalité originale et somme toute représentative de milieux à ce moment
fortement ancrés à gauche, mais attachés à une indépendance d’esprit qui les mène à se
défaire du carcan d’un marxisme trop orthodoxe.
Enfin, je chercherai à resituer la médiation de Goriély dans le contexte de son
ambition d’historien et d’historiographe de la littérature de son temps. La littérature
prolétarienne, dont il se fait l’apôtre, est pour lui issue d’un vaste mouvement
d’émancipation par rapport à la littérature « bourgeoise » du 19e siècle ; sa genèse a
transité par différents mouvements d’avant-garde, parmi lesquels le futurisme russe
occupe une place particulière. Sur un autre plan, la question des images de la Russie,
notamment celles liées à ses grands romanciers comme Dostoïevski, n’est pas non plus
sans influence sur la vision que véhicule Goriély de la littérature révolutionnaire de son
temps.
3
Benjamin Goriély est né le 22 août 1898 à Varsovie. D’après les informations
biographiques dont on dispose2, il étudia à Kharkov et à Moscou jusqu’en 1918. Après
un retour temporaire en Pologne, il partit pour Berlin, où il s’inscrivit comme étudiant
en philosophie. En 1921, Goriély débarqua à Bruxelles, où il fréquenta la Faculté des
Sciences Naturelles (chimie) de l’Université Libre de Bruxelles3.
4
Au fil des huit années de son séjour en Belgique, Goriély délaissa probablement ses
études au profit d’une intense activité de journaliste et d’auteur de revues. Sous le
pseudonyme de Maximof, il publia en 1925 ses souvenirs sur la Révolution russe dans le
périodique étudiant L’Universitaire. Ensuite, il collabora périodiquement à la page
littéraire du quotidien communiste Le Drapeau Rouge, à la demande d’Augustin
Habaru. Progressivement, Goriély se profila ainsi comme un médiateur privilégié de la
vie politique révolutionnaire et de la littérature soviétique.
5
Dans son histoire du mouvement de la littérature prolétarienne en Belgique4, Paul
Aron a insisté sur l’importance de Goriély, aux côtés des animateurs principaux de ce
courant, Habaru, Pierre Hubermont et Albert Ayguesparse5. L’émigré fit ainsi partie de
ce cercle étroit qui, à l’initiative d’Habaru, chercha à susciter en Belgique la création
d’un mouvement artistique international, par le biais de la mise sur pied d’un théâtre
prolétarien et d’un Manifeste6. Lorsqu’ Ayguesparse et Habaru commencèrent à animer
la revue Tentatives, dont six livraisons furent publiées entre avril 1928 et août 1929,
Goriély donna d’abord deux contributions au numéro spécial sur « la jeunesse », sous le
pseudonyme de G. Bengor7. S’il ne collabora pas au premier Manifeste de l’équipe belge
des écrivains prolétariens de langue française, publié dans le numéro de février-mars
1929, il publia au même endroit un article sur les courants d’avant-garde (futurisme,
cubisme, dadaïsme, expressionnisme), qui oeuvrèrent selon lui à « la destruction de
l’ancienne littérature bourgeoise »8.
6
Par la suite, Goriély fit bel et bien partie de la nouvelle équipe élargie qui, sur les
cendres de Tentatives, tenta de relancer le projet à travers la revue Prospections.
7
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Souvenirs d’ici et d’ailleurs
L’appel qui ouvre le premier numéro de décembre 1929 présente la nouvelle équipe
d’intellectuels « qui s’accordent sur une méthode de recherche et de combat », en
fonction des nouvelles priorités définies en commun : « Sauvegarder du désarroi de
notre civilisation quelques-unes des meilleures acquisitions humaines » ; « Chercher
des solutions valables à tant de problèmes qui sollicitent notre pensée : l’avenir de
l’intelligence, le sort d’une culture et d’un art révolutionnaires, la poésie, etc… ».
L’appel lancé par Prospections à devenir « le point de rencontre des intellectuels
révolutionnaires » sous forme d’abonnement ou de participation aux réunions du
groupe est signé par Ayguesparse, René Baert, Marc Bernard, Jeanne Brenta, Joseph De
Bueger, Goriély, Habaru, Ernest Jamin, Charles Plisnier, Georges Van Steenbeeck et
André Wolf9. Cette recomposition de l’équipe faisait suite à la démission d’Hubermont
au terme de l’expérience Tentatives – en raison de l’influence grandissante de Plisnier,
qui avait été exclu du Parti Communiste Belge en 192810. Goriély cosigna donc avec tous
les acteurs mentionnés le nouveau « manifeste de Prospections », paru dans le premier
numéro, de même qu’il y rédigea l’article sur la « littérature prolétarienne »11. Dans le
numéro II, qui parut juste avant son départ de Belgique, il publia encore un article
consacré à « la pensée bourgeoise devant la religion »12.
8
Au moment de poursuivre sa route vers Paris vers 1930, Goriély a ainsi jeté les bases
d’une activité de médiateur qu’il poursuivra encore pendant plusieurs décennies. À cet
égard, il faut surtout tenir compte de son travail de traducteur, entamé en Belgique.
Avant son départ, il édita en effet, avec René Baert, une anthologie intitulée La Poésie
nouvelle en URSS, qui parut en 1928 aux Éditions du canard sauvage, à Bruxelles13. Par
le biais de filiations familiales directes, l’esprit de médiation de Goriély porta au-delà de
son émigration même. Comme on l’indiquera plus loin, son épouse Hélène Temerson14
fit par son biais la découverte de l’écrivain expressionniste allemand Carl Sternheim.
Restée en Belgique après son départ, elle consacra une thèse de doctorat à Sternheim à
l’Université Libre de Bruxelles et accompagna d’ailleurs les dernières années du poète
allemand dans son exil belge15.
9
La suite du parcours de Benjamin Goriély en France, qu’il n’est pas possible de
développer ici, appellerait pourtant encore de nombreux développements. Son oeuvre
d’écrivain et critique, de traducteur et de journaliste en fit un médiateur franco-russe de
premier plan. Ainsi se distingua-t-il, dans les années qui suivirent, comme passeur et
introducteur de Maïakovski, Pasternak, Khlebnikov ou encore comme éditeur de la
correspondance de Tolstoï. Sa médiation de la littérature russe englobe donc aussi bien
les auteurs « classiques » du 19e siècle, qui continuaient d’être associés à l’image de la
Russie, que des poètes plus tardifs et des avant-gardes pour lesquels il joua un rôle plus
novateur de découvreur, sans oublier son intérêt pour les écrivains soviétiques. Quant
aux thèmes politiques, ceux-ci continuèrent également de nourrir ses publications de
journaliste et intellectuel. Ainsi publia-t-il des essais sur Israël, après avoir été envoyé
dans le nouvel État par le revue Combat en 1949, ou encore une étude sur la frontière
polono-soviétique de 1914 à 194016.
10
Le tapuscrit des souvenirs de Benjamin Goriély, Nul ne reconnaîtra les siens,
conservé aux Archives de la Bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, apporte un
éclairage instructif sur ses années belges – même si on réalise à la lecture qu’ils furent
rédigés avec une certaine distance temporelle qui incitera à la vigilance17.
11
12 Les années belges de Goriély constituent une étape du parcours d’une existence
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nomade, qui l’avait mené peu auparavant dans le Berlin des débuts de la République de
Weimar. Observant de près l’agitation révolutionnaire en Allemagne et le climat de
répression qui s’y opposait, Goriély s’est surtout intéressé au phénomène de
l’expressionnisme, qui « atteignait son apogée. Il voulait la mort des pères, des maîtres
à penser, du rationalisme. L’expression[n]isme glorifiait l’absolu, c’est-à-dire la
mort »18. Dès ce moment, on constate l’intérêt soutenu de Goriély pour les courants
d’avant-garde « jeunes », qui ont entrepris de détruire et régénérer l’Europe littéraire
« bourgeoise ». Il s’agit là d’un trait transversal de son action de médiateur, et plus tard
d’historiographe des mouvements d’avant-garde.
Par le biais d’un ami étudiant à Bruxelles, Goriély décide de quitter Berlin, pour
rejoindre une ville qu’il situe dans le sillage immédiat de Paris : « J’avais toujours rêvé
de vivre et d’étudier dans un pays de langue française. Pour moi la Belgique ou la
France, c’était la même chose : on y parlait la même langue et c’était la même
civilisation »19. Le jeune migrant s’inscrit en faculté des sciences, section chimie, à
l’Université Libre de Bruxelles mais il s’y occupe surtout de littérature et de politique. Il
fréquente de près les milieux des étudiants russes, dont il dresse une topographie dans
ses souvenirs : les étudiants de la Russie révolutionnaire (« C’étaient des garçons ou des
filles nés et élevés en Russie mais d’origine belge ayant gardé la nationalité de leurs
parents. Plusieurs d’entre eux ne parlaient même pas le français mais s’intégrèrent vite
à la société »20) ; la catégorie particulière des « vrais soviétiques, pour la plupart fils de
Nepman », à qui le gouvernement soviétique permettait de faire des études à l’étranger,
dans le cadre de sa nouvelle politique économique21 ; et enfin la catégorie des Russes,
qui s’étaient installés en Belgique avant la révolution et « continuaient à vivre comme
avant la guerre »22.
13
Goriély fréquente également les milieux ouvriers émigrés, notamment les Polonais,
maçons, mineurs ou manoeuvres recrutés par les industriels français et belges à
Charleroi, Bruxelles, Verviers ou Liège. Il fait le récit d’une conférence sur Tolstoï et
Anna Karénine qu’il donna à Charleroi « dans un petit local transformé en Club de la
Culture » devant des mineurs juifs, ainsi que d’un exposé sur la poésie révolutionnaire
soviétique qu’il fit au même endroit devant des travailleurs russes, originaires pour la
plupart de Bessarabie23. En outre, Goriély côtoie les milieux du parti communiste
naissant. Il fréquente Joseph Jacquemotte et surtout War Van Overstraeten qui, d’après
son témoignage, deviendra ensuite trotskiste, puis changera de camp pour se faire
partisan de Franco pendant la guerre civile espagnole24. Il se lie d’amitié avec Augustin
Habaru, qui lui donne accès aux colonnes du Drapeau Rouge.
14
La question allemande continue de lui tenir à coeur. Il remarque ainsi dans ses
souvenirs que ce fut la presse belge de gauche qui fit à nouveau une place aux écrivains
allemands de l’époque de la République de Weimar. Par ailleurs, Goriély fréquente le
cercle littéraire de « La Lanterne sourde », qui fut le premier à convier un écrivain
allemand, Kasimir Edschmid, pour une conférence donnée en français25. On observe
donc à travers la constitution de réseaux naissants comme celui-ci la manière dont la
figure d’un émigré comme Goriély contribue à l’histoire de transferts culturels
multilatéraux. Suivant ce que Michel Espagne suggère par ailleurs via une approche
triangulaire Allemagne-France-Russie26, le cas de Goriély se distingue par une mobilité
intense au sein de cercles de socialisation qui privilégient une circulation rapide et
simultanée des informations, et ce dans des directions multiples.
15
Au-delà de la dimension bilatérale d’un médiateur de la culture russe révolutionnaire
en Belgique, Goriély reste donc attentif à la nouvelle littérature allemande, dont il veille
à transmettre l’esprit. Ayant lu un article sur l’écrivain expressionniste allemand Carl
Sternheim dans « le journal russe prosoviétique de Berlin ‘Roul’« , il recommande
Sternheim à son épouse Hélène Temerson-Goriély, qui s’est entre-temps inscrite
16
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Sternheim à son épouse Hélène Temerson-Goriély, qui s’est entre-temps inscrite
comme étudiante en philologie germanique à l’Université Libre de Bruxelles ; elle y
consacrera un travail de recherche à Sternheim27. Même s’il faut relever le caractère
diffus voire quelque peu fuyant de ces transferts et la conjoncture d’accueil fragile de
réseaux qui se font et se défont avec rapidité, l’histoire des transferts et des médiateurs
s’inscrit nécessairement dans une perspective plus globale et multilatérale. (À cet égard,
on remarquera que les recherches sur les transferts culturels ont jusqu’à présent trop
peu pris en compte la dynamique des revues littéraires internationales de la première
moitié du 20e siècle28).
Les souvenirs de Goriély apportent donc un témoignage sur une vie culturelle et
littéraire qui – à l’en croire – s’accélère à partir de 1923, c’est-à-dire de l’occupation de
la Ruhr et de l’agitation du parti communiste. Il y est question des milieux qui gravitent
autour de « La Lanterne Sourde », mais aussi de la tribune du Rouge et du Noir, de
même que de la revue Sept Arts, dirigée par Pierre Bourgeois. Plus particulièrement,
Goriély fréquente les milieux étudiants bruxellois et raconte aux animateurs du
périodique L’Universitaire ses souvenirs de la révolution d’Octobre. En 1925, il en
donne une version écrite, sous le pseudonyme de Maximof29. Une suite de six articles,
présentés par la rédaction du journal comme les « pittoresques souvenirs de la
Révolution de 1918 reçus par un étudiant russe actuellement à l’Université de
Bruxelles », débute dans la livraison du 13 janvier 1925.
17
Sur le plan de la présentation, Goriély excelle d’emblée à jouer avec les attentes de ses
lecteurs, avides d’informations sur un événement dont on parle beaucoup : « On entend
partout les opinions les plus contradictoires et les plus embrouillées. Ou bien on
méprise la révolution et on confond la haine déchaînée des masses inconscientes avec
les actes conscients du parti communiste, ou bien on l’idéalise en exagérant
l’importance de certains faits et en cachant ou diminuant celle des autres. »30 Se
profilant comme un esprit socialiste indépendant, Goriély stigmatise « la presse
bourgeoise vendue et traître », qui déforme la vérité à propos de l’événement, mais il
pose aussi ouvertement la question de savoir où se trouve la vérité : « Est-ce la presse
communiste qui la donne ? ».
18
Établissant un parallèle avec le visiteur de la cathédrale de Cologne, qui ne
distinguera rien s’il se trouve trop proche de l’édifice mais devra s’en éloigner dans
l’espace pour en admirer la grandeur et la beauté, l’étudiant en exil met le doigt sur le
problème de la perspective historique : « Et la perspective nous manque pour apprécier
la révolution russe. Si c’est difficile de le faire pour un étranger, ne croyez pas que c’est
plus facile pour quelqu’un qui est ou qui était dans ce tohu-bohu. Le dernier est comme
un soldat à la guerre qui, brisé de fatigue, traîne son pas ne sachant si on avance ou si
on recule. En me trouvant loin de mon pays, après quelques années d’exil, les passions
en moi se calment, les souvenirs se rangent en ordre dans ma tête et c’est avec un calme
parfait que je vais essayer de les lier en cherchant les causes là où on ne voyait guère
que les effets »31.
19
À partir de là, Goriély fait le récit des événements vécus dans un style
particulièrement vivant et coloré : son départ en train de Kharkov après le coup d’état
des Bolchévistes en 1918 et son arrivée à Moscou32 ; la vie au quotidien dans la capitale,
notamment dans les cabarets, et les escarmouches entre les Bolchévistes et les
« ‘miechotchvikis’, paysans riches qui apportent les sacs de farine pour les vendre aux
riches villageois »33.
20
La troisième chronique de Goriély est consacrée à l’art et aux artistes. En raison du
silence définitif des « écrivains bourgeois, attachés à la tradition » – qui furent forcés de
se taire ou simplement « pétrifiés devant le déchaînement diabolique de leur peuple » –
et puisque, Gorki mis à part, « tous les grands écrivains qui rêvaient de la révolution,
qui l’annonçaient dans chaque ligne de leurs oeuvres, la fuyaient maintenant », Goriély
21
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qui l’annonçaient dans chaque ligne de leurs oeuvres, la fuyaient maintenant », Goriély
fait l’inventaire du petit groupe des « jeunes écrivains » qui, « étouffés sous le Tzar,
accueillirent la révolution avec joie » : Alexandre Blok « auteur de Douze, génial poème
de la révolution »34, puis surtout les futuristes, présentés comme « les lutteurs les plus
acharnés contre l’héritage spirituel de la bourgeoisie »35. Le récit épingle les noms de
Maïakovski, Bourliouk et Kamionski, leur organe Futuriste-Anarchiste et le lieu le plus
efficace de leur propagande, le café en sous-sol d’une ruelle aboutissant à la Tverskaia.
Nul doute que le tableau haut en couleurs dressé ici par Goriély n’a pas manqué de
plaire aux étudiants à qui il s’adresse : « Dans leur café, les murs étaient ornés par des
dessins d’une couleur jaune ne représentant que des taches, des cercles, des paraboles,
sur un fond noir ; les futuristes se distinguaient également par leurs habits bizarres et
parfois ridicules. On voyait de temps en temps, dans les rues, des gens aux cheveux
peints en or, aux figures vertes, bleues et rouges, une blouse d’une couleur éclatante. »36
Mais au-delà du côté performatif de la poésie futuriste (« Maiakovsky était habillé en
apache avec une cravate rouge »), Goriély se plaît à souligner que les cafés futuristes
accueillent des ouvriers, qui demandent des explications et, quelquefois, « montent sur
l’estrade pour lire des poèmes à eux : c’étaient des vers tout différents, sans pose, sans
artifice ; on entendait des phrases claires et simples comme le peuple lui-même, et une
force se laissait sentir dans ces poésies prolétariennes »37. Toutefois, le contraste
demeure entre ces hôtes occasionnels et les futuristes eux-mêmes, qui continuèrent à
donner des conférences incompréhensibles et à se livrer à des excentricités.
Goriély consacre encore une chronique aux milieux anarchistes38, puis à l’anecdote de
son bref enrôlement dans l’armée rouge, dont il fut – à ses dires – rapidement congédié
pour négligence39. Un dernier récit, intitulé « Les marais de Pinsk », raconte sa
fraternisation avec des soldats allemands autour des idées de la révolution, dans un
train militaire voyageant entre Homel et Pinsk (en Biélorussie), dans une zone encore
sous occupation allemande. Dans cette région marécageuse, où le narrateur cherche
refuge, il finit par passer la nuit chez une vieille Polonaise, qui héberge des soldats
allemands formant un cercle révolutionnaire au sein de l’armée d’occupation40.
22
Dans le tapuscrit de ses souvenirs, Goriély se plaît à souligner le retentissement des
articles parus dans L’Universitaire, à cause du climat d’exaltation existant autour la
révolution : « Rien d’étonnant car l’intérêt pour la Russie révolutionnaire était
immense. Les jeunes intellectuels ne parlaient que de l’Union Soviétique, de la
littérature prolétarienne, des films dont le succès était sans précédent tel le Cuirassé
Potemkine, la Ligne générale, Tempête sur l’Asie, etc. Eisenstein vint à Bruxelles
présenter son film devant une salle archicomble. Dans son discours il se prononça
contre les vedettes en révélant que ses acteurs n’étaient pas des professionnels mais des
hommes et des femmes choisis parmi les ouvriers et les paysans. Les deux premiers
journalistes belges, Pierre Day[e] et le poète Kochnitski [Léon Kochnitzky], se rendirent
en URSS. Ils revinrent à Bruxelles et firent la relation de leur voyage devant un public
enthousiaste. »41
23
À l’invitation de Pierre Bourgeois, Goriély donna encore une conférence sur la
« poésie révolutionnaire russe » dans une annexe du Palais d’Egmont. Face à un public
qu’il décrit toujours comme particulièrement nombreux et enthousiaste, il évoqua les
figures de Blok, Maïakovski et Essénine, une actrice faisant la lecture des poèmes cités.
Le député socialiste Louis Piérard, présent dans l’assemblée, fit ensuite un compte
rendu de la soirée dans Le Peuple, tandis que cette manifestation permit à Goriély de
nouer le contact avec Habaru, qui lui accorda une tribune dans le Drapeau Rouge42,
puis un accès aux cercles qui mirent sur pied la revue Tentatives43.
24
Les dernières pages des souvenirs belges de Goriély offrent encore pêle-mêle
quelques commentaires sur l’éphémère aventure des revues auxquelles il participa et
sur le parcours de leurs protagonistes. Dans la transition qui mena de Tentatives à
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Des « littératures de transition » à la
littérature prolétarienne
sur le parcours de leurs protagonistes. Dans la transition qui mena de Tentatives à
Prospections, il insiste sur l’influence grandissante de Charles Plisnier, qui avait rejoint
l’équipe en cours de route et était « tourmenté par le problème religieux », à la suite de
son retour à la foi44. Son arrivée avait alimenté, dans ces milieux de la gauche
indépendante, l’indétermination autour du terme de « révolution » qui, à en croire
Goriély, se révéla un danger fatal pour le projet : « Mais voici qu’un nouveau danger
guettait Prospections : d’abord c’était la signification du terme ‘révolution’. Mot qui
reflète l’idéologie prolétarienne, mot banni par la société bourgeoise, qui reçut d’emblée
droit de cité. Alors que Mussolini parlait de la ‘révolution fasciste’ et que la ‘révolution
allemande’ commençait à se confondre avec le national-socialisme, Ayguesparse
écrivait : ‘Tout le monde s’enrôle sous le signe de la révolution. C’est facile’. »45
Goriély avait déjà souligné à ce moment à quel point Prospections fit suivre son
manifeste « d’une série d’articles où le marxisme élagué s’étoffe d’un élément nouveau :
le subconscient. L’antinomie entre le marxisme et la poésie devient cette fois, sous
l’influence du surréalisme, le problème majeur de Plisnier et aussi de René Baert. »46
On a peine à imaginer, écrit Goriély des années plus tard, que ce dernier, après avoir
édité avec lui la première anthologie de poésie soviétique, « tomberait victime de la
mystification nazie »47. Sa figure est décrite comme emblématique du danger principal
qui devait in fine conduire le projet des jeunes intellectuels de gauche à leur perte : « La
confusion la plus totale menaçait notre équipe. Le surréalisme, la religion, voire la
mystique, la révolution trahie et la révolution mystifiée, dans cette confusion, la plupart
des membres de ‘Prospections’ finiront par succomber à la tentation du diable. Moi je
n’ai aucun mérite à avoir continué la ligne de ‘Tentatives’ car je me trouvais en marge de
la société, je n’ai pas choisi mon destin, je l’ai subi. Habaru mis à part, seul Ayguesparse
résista à l’appel de la sirène. Lucide, il écouta la marche de l’histoire, mais parti de
l’éthique sociale, il croyait aux valeurs humaines et leur resta fermement attaché ».48
26
Telle est donc la tonalité dominante du bilan désenchanté que Goriély dresse de sa
période belge : un bel enthousiasme révolutionnaire, qui déboucha sur un manque de
cohérence idéologique et un flou qui mena certains à la trahison, observée a posteriori
parfois avec incompréhension (Baert), parfois avec colère et ressentiment personnel49.
27
En tant qu’acteur de la médiation culturelle avec la Russie, Goriély trouve à s’inscrire
dans un paysage des relations belgo-russes déjà bien balisé à son époque. Roland
Mortier, et plus récemment Raymond Trousson ont étudié les échanges nourris pas les
générations belges du tournant du 19e et du 20e siècle avec les lettres russes50. Les
affinités des symbolistes belges avec la Russie sont également connues et bien
documentées : ainsi la correspondance entre Émile Verhaeren et Valéri Brioussov, le
pionnier du symbolisme russe a-t-elle été éditée51, tandis que les différents travaux
d’Anne Ducrey ont étudié les liens entre Alexandre Blok et Maurice Maeterlinck et
approfondi la réception de ce dernier en Russie52.
28
Indéniablement, il existait entre les deux cultures un terrain d’entente partagé auquel
se réfère également Goriély, lorsqu’il visite Bruges et se rappelle que, dans la
bibliothèque de son père, « se trouvait la traduction en russe de Bruges la morte »53.
Par association, il évoque également le rayonnement international de Verhaeren et de
Maeterlinck54. Si on considère inversement les images se dégageant de la Russie par le
biais du filtre d’un certain mysticisme inhérent au symbolisme, tout donne à penser que
la Belgique a rallié à cette époque un courant international qui se plaisait à valoriser un
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la Belgique a rallié à cette époque un courant international qui se plaisait à valoriser un
« caractère » russe orienté vers la méditation et l’intériorité, perçu à ce moment comme
une contribution originale à la vie internationale des métropoles occidentales.55
Cette perception d’une « âme russe » évoluera bien entendu fondamentalement après
la révolution de 1917, en même temps qu’une grande diversification des images et des
médiations de la Russie caractérisera le champ littéraire et intellectuel en Belgique.
Goriély ne constitue en effet qu’un maillon de la chaîne de cette médiation et
probablement pas la partie la plus visible à ce moment. Dans sa présentation des
images de la Russie dans quelques revues belges entre 1921 et 1930, Francis Mus a
récemment rappelé le rôle de passeur de Franz Hellens dans Le Disque Vert, mais aussi
de Roger Avermaete dans Lumière, de Camille Poupeye dans La Nervie ou de Denis
Marion dans Variétés. Cet intérêt soutenu pour l’Est se trouve renforcé par une plus
grande « pénétration » des milieux émigrés russes en Belgique. Il a encore progressé du
fait que les milieux littéraires peuvent prendre appui sur des connections, des relais ou
des relations personnelles pour mieux fonder leur travail de médiation. Hellens diffuse
ainsi ses auteurs de prédilection (Ehrenbourg, Essenine, le groupe des frères Sérapion)
avec l’assistance de sa seconde épouse Marie Miloslawsky56.
30
Mais d’autres milieux se préoccupent également de présenter la Russie
contemporaine au public lettré belge. Robert Vivier prend en charge – également avec
le concours de son épouse Zénitta Tazieff – de traduire et faire connaître Alexis
Rémizov57. Et si on considère encore l’intérêt prononcé pour la Russie d’une revue
généraliste comme Le flambeau, sous la houlette de son animateur Henri Grégoire, on
prendra la mesure du fait que le travail de passeur de Goriély s’est effectivement
accompli en marge, soit en porte-à-faux par rapport à une vision déjà existante de la
littérature russe, soit en concurrence avec ce qui est présenté dans d’autres revues
modernistes et d’avant-garde. On sait d’ailleurs que Le flambeau transmet d’abord le
patrimoine russe d’un 19e siècle plus « classique » (Pouchkine, Tchékhov), tout comme
il s’oppose explicitement aux écrivains prolétariens (sous la plume du critique russe
socialiste-révolutionnaire exilé à Prague Mark Slonim)58.
31
Il est difficile d’imaginer que les milieux de la littérature prolétarienne n’aient pas
pris connaissance de ces médiations parallèles de la Russie qui existaient à côté de la
leur. Ils y ont répondu par le militantisme de leurs revues, véhiculant l’esprit d’une
littérature jeune et nouvelle, oeuvrant au service d’un changement de civilisation.
32
La contribution de Goriély au numéro de Tentatives sur la jeunesse scelle
probablement ses adieux au monde étudiant belge. Publié sous le pseudonyme de G.
Bengor, cet article constitue une charge contre ses condisciples. Le monde étudiant
d’Europe occidentale y incarnerait tout sauf l’idéal d’une jeunesse comme élément
révolutionnaire, telle qu’elle s’est distinguée en Russie ou continue de le faire dans la
lutte contre l’impérialisme menée par les coolies ou encore par les étudiants chinois :
« Une jeunesse ardente, désintéressée, qui est prête à mourir pour son idéal est digne
de s’appeler élite. »59 Rien de tout cela en Europe ou en Amérique, où les étudiants
« peuvent être considérés comme les agents actifs du fascisme international ». En
particulier, Goriély fustige le manque de solidarité, voire l’hostilité des étudiants belges
par rapport à la cause flamande et à la possibilité d’une réconciliation avec l’Allemagne :
« En Belgique, par exemple, les étudiants prennent des attitudes belliqueuses contre la
flamandisation de l’université de Gand, manifestent contre les orateurs allemands qui
viennent conférencier [sic] (Liège), saccagent l’exposition soviétique, etc., etc. »60 Il
s’indigne du manque de considération vis-à-vis des étudiants étrangers » admis à
l’Université mais indésirables du point de vue fasciste » et qui sont « maltraités et tenus
à l’écart : les Allemands en Belgique, les Polonais en Allemagne, les Russes en Pologne.
À Berlin les étudiants étrangers sont assis dans le fond des auditoires, la grossièreté de
leurs collègues allemands dépassant toutes les limites. Une haine aussi féroce contre
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leurs collègues allemands dépassant toutes les limites. Une haine aussi féroce contre
tout ce qui n’est pas national, contre tout ce qui pense autrement corrompt les
caractères et les moeurs. »61 Contre l’ignorance, la grossièreté et le cynisme de cette
jeunesse bourgeoise qu’il a côtoyée en Belgique62, il plaide pour le modèle soviétique,
qui a fait place à des « étudiants rouges », enfants de paysans et d’ouvriers. Là-bas, les
syndicats veillent à leur intégration, tout en évitant la rupture entre étudiants et milieux
prolétaires63.
Le premier article que Goriély donne à Tentatives constitue un travail plus ciblé, qui
soutient son militantisme pour la littérature prolétarienne. En réalité, cet article,
« Littérature de transition », illustre une ambition d’historiographe de la littérature. En
effet, si l’émergence d’une littérature prolétarienne internationale y est annoncée en
conclusion, elle est surtout resituée dans le prolongement d’une histoire littéraire
immédiate depuis les dernières décennies du 19e siècle.
34
On remarque d’emblée la conception de la littérature véhiculée par Goriély dès les
premières lignes de cet article : « La littérature appartient à une des branches les plus
importantes de notre vie spirituelle. Elle transforme les hommes, indique la voie à
l’individu et à la société. »64 La combinaison de l’adjectif « spirituel » avec une volonté
de transformation et de changement que l’on sait d’inspiration révolutionnaire peut
surprendre. Goriély va toutefois allier la question morale et spirituelle à une critique
explicite de la littérature réaliste – terme qu’il n’utilise pas mais dont il donne pourtant
une définition très adéquate : « Les écrivains avaient pour but de refléter passivement
la vie multicolore de l’ordre bourgeois. Tchekhov, Gogol, Flaubert, Zola décrivent et
reflètent la vie. Les plus doués des écrivains approfondirent la description et
démontrèrent les contradictions, les iniquités et les luttes au sein de la société, la
situation anormale de certaines couches sociales. Mais très souvent le miroir déformait,
car, vu à travers le monocle d’un bourgeois le type fut avili ou idéalisé (l’ouvrier chez
Tolstoï, le paysan chez Tourgueniev, le médecin chez Molière, l’étranger chez
Dostoïevski). Mais artistement peints, ils évoquent une antipathie ou une sympathie
envers tel personnage, envers tel milieu social. »65
35
Un commentaire plus étendu sur Dostoïevski permet à la fois de faire le lien entre la
question morale et religieuse et celle du changement social, en même temps qu’une
critique de la littérature réaliste s’y amorce. Car Dostoïevski ne parvient pas, d’après
Goriély, à « sortir des cadres de sa Société ». Il « cherche la cause des souffrances des
hommes en dehors de la société et pas en elle. Et la cause d’après lui, c’est le manque de
croyance. » En d’autres termes, c’est une question de perspective qui fait défaut dans
l’oeuvre du grand romancier russe, à savoir le fait qu’il ne remette pas en cause
l’exploitation et l’ordre bourgeois : « Il est vrai que Dostoïevski prévit la révolution,
mais les ‘humiliés et les offensés’ parias de la société, au lieu de lutter contre cette cause
primordiale, mènent une guerre sans pardon entre eux et finissent par accepter la croix,
comme méritée. » Ainsi la culture bourgeoise, conclut Goriély, eut tendance à s’anéantir
elle-même. Et dans le cadre du symbolisme et du mysticisme – deux courants qu’ils
nomment cette fois-ci explicitement – « les écrivains s’enferment dans leurs tours
d’ivoire et finissent par planer ‘au-dessus’ de la société ».
36
Suivant un schéma d’interprétation marxiste, Goriély se réfère ensuite à Trotski et à
son ouvrage La Littérature et la Révolution. Il en résume ainsi une idée centrale :
« Quand le monde est rongé par les contradictions, il n’y a qu’un seul remède
hygiénique – c’est la révolution, si le monde ne veut pas étouffer, étouffer dans ses
propres malentendus. » C’est à ce moment que Goriély insiste sur l’impulsion décisive
donnée par le mouvement futuriste, dont les représentants « furent les révolutionnaires
et les épurateurs de l’art. La guerre, puis le bouleversement social menèrent à ‘la
révolution de l’esprit’, comme disaient les futuristes. » Insistant sur son apport à la
création d’un nouveau langage, en symbiose avec le mouvement et la vie (« À bas le
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Conclusion
création d’un nouveau langage, en symbiose avec le mouvement et la vie (« À bas le
vieux langage et le vieux style. La vie est dynamique66 »), Goriély réprouve toutefois le
futurisme pour des raisons idéologiques car il ne fut pas un mouvement prolétarien :
« Ce fut le contraire : le futurisme est sorti du sein de la grosse bourgeoisie, qui, unie
dans les trusts, est consciente de sa force, tend à conquérir le monde. […] » Cette
collusion avec la bourgeoisie mena, toujours d’après Goriély, les futuristes à soutenir la
guerre, puis le gouvernement fasciste.
Il en fut tout autrement en Russie, où le mouvement futuriste trouva un terrain
politique plus propice ; « […] né dans un régime tzarisme [sic], il prit une autre
direction et facilita la création d’une littérature prolétarienne en Russie ». On perçoit ici
le contexte particulier dans lequel Goriély veut situer son action de médiateur : celui
d’un futurisme russe exemplaire, puisqu’il allie l’innovation esthétique venue d’Italie (le
dynamisme de la création et sa volonté active « d’introduire l’art dans la vie »), la même
impulsion d’une critique radicale de la civilisation (« […] le mot d’ordre de la
protestation, de la révolte et de l’anéantissement ») et l’horizon d’une littérature
prolétarienne. Ce fut toutefois sur ce dernier point que le futurisme russe échoua car ses
représentants (« la bohême, les clients blasés et assidus des cabarets ») « ne réussirent
point à attirer le prolétariat vers eux ». Le bilan n’en demeure pas moins encourageant
car, à l’heure où le futurisme disparaissait avec la guerre, « il ressuscita [en Russie] avec
la révolution, mais en présentant un programme constructif, il se transformait déjà ».
38
La fin de l’article brosse très rapidement la poursuite d’un esprit protestataire et
révolutionnaire à travers le dadaïsme, qui prit en quelque sorte le relais du futurisme à
partir de 1916. En guise de conclusion, Goriély se contente donc d’énumérer les
mouvements littéraires du premier quart du 20e siècle (futurisme, cubisme, dadaïsme,
expressionnisme) qui « contribuèrent à la destruction de l’ancienne littérature
bourgeoise » et « déblayèrent le terrain pour laisser place à l’épanouissement d’une
littérature constructive, prolétarienne ». Sur le plan de la dialectique, la « littérature de
transition » dont il a été question se conçoit donc comme une source d’inspiration
essentielle pour une littérature prolétarienne naissante.
39
Finalement, l’éphémère programme esquissé par l’équipe de Prospections veilla bien
à prendre ses distances par rapport à un marxisme dogmatique. Dans l’article
« Littérature prolétarienne » qu’il rédigea pour le premier numéro, Goriély commence
par une critique d’un marxisme « simpliste et démagogique ». Il s’en prend
ouvertement à une vision du monde répandue dans la critique marxiste, et qui ferait
valoir comme « argument à tout bout de champ » que « tout est déterminé par la
structure économique de la société » ; pour les milieux révolutionnaires, le marxisme
serait ainsi « devenu une arme de scolastique »67. Argumentant sur base de ses thèses
précédentes en lien avec le déclin de la littérature bourgeoise à travers « les mystiques,
les symbolistes, les individualistes » et suivies par les « écoles de transition » des
courants d’avant-garde, Goriély pose cette fois l’existence d’une littérature
prolétarienne, animée par « une pléiade d’écrivains russes : Gladkov, Serafimovich,
Lebedinsky » incarnant « l’épopée glorieuse de la lutte du prolétariat pour
l’affranchissement ».
40
Comme on l’a vu, l’aventure de Prospections tournera à la confusion et les
protagonistes de la revue se disperseront sous des cieux très différents. Pour sa part,
Goriély poursuivra son travail de médiateur sous une autre forme, consacrant
désormais ses énergies davantage à la traduction qu’à la rédaction de manifestes.
41
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Notes
1 Dans une lettre à Albert Ayguesparse du 4 mai 1929, Goriély annonce la fin de son activité
auprès de Prospections pour des raisons d’ordre personnel, indépendante de toute volonté de
conflit (cf. la correspondance entre les deux hommes conservée aux Archives et Musée de la
Littérature : AML, ML 5472/5115-5121).
2 Cf. ELADAN (Jacques), préface à GORIÉLY (Benjamin), L’Homme aux outrages suivi de Mort à
Venise et de Conversion à l’amour, Paris, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1988. Ces
informations biographiques sont reprises sur le site de la Bibliothèque de l’Alliance israélite
universelle (A.I.U. ; 45 rue La Bruyère, 75009 Paris), où sont conservés les manuscrits et
archives de l’écrivain depuis 1992/1993 : http://www.aiu.org/bibli/index.php?
option=com_content&view=article&id=153&catid=24; consulté le 19 février 2014. Dans les
publications de l’époque, le nom de Goriély est le plus souvent, mais pas systématiquement,
orthographié avec accent. Je conserverai celui-ci par souci de cohérence.
3 D’après les registres des inscriptions conservés au service des Archives de l’Université Libre
de Bruxelles, Benjamin Goriély a fréquenté la Faculté de Sciences de 1921 à 1926 ; il s’est inscrit
pour une année de doctorat en chimie. Rôle des inscriptions de l’Université Libre de Bruxelles
pendant la troisième période trentenaire 1894-1895-1923-1924, Service des archives de l’ULB.
Je remercie Carole Masson et Didier Devriese, du service des Archives, de m’avoir fourni ce
renseignement.
4 ARON (Paul), La littérature prolétarienne en Belgique francophone depuis 1900, Bruxelles,
Labor, 1995, p. 53-78 et 109-172.
5 Augustin Habaru (1898-1944) était devenu rédacteur du Drapeau Rouge et correspondant de
L’Humanité en France. Pierre Hubermont (1903-1989, pseudonyme de Joseph Jumeau)
deviendra le principal animateur de la littérature prolétarienne. Durant la Seconde Guerre
mondiale, il participera ensuite à la presse de collaboration et aux instances de la Communauté
Culturelle Wallonne, au service de l’occupant (cf. ARON, op.cit., p. 71-78). Albert Ayguesparse
(1900-1996) mènera pour sa part un combat anti-rexiste à la fin des années 1930 et brisera sa
plume sous l’Occupation (cf. la notice que lui consacre l’Académie Royale de Langue et de
Littérature Françaises de Belgique, dont il fut membre de 1962 à sa mort ;
http://www.arllfb.be/composition/membres/ayguesparse.html; consulté le 19 février 2014).
6 Aron, op. cit., p. 58-59.
7 G. BENGOR [B. GORIÉLY], « La jeunesse des écoles » et « Le nouveau romantisme », dans
Tentatives, juin-juillet 1928, p. 8-10 et p. 21.
8 GORIÉLY (Benjamin), « Littérature de transition », dans Tentatives, février-mars 1929, p. 13-
15.
9 Prospections I, décembre 1929.
10 Cf. ARON, op.cit., p. 109-110.
En réalité, il avait déjà amorcé ce travail à Bruxelles et, dans l’anthologie de « Poésie
nouvelle de l’URSS » publiée avec René Baert en 1928, tenté cet alliage de traduction et
d’un bilan historiographique immédiat sur la littérature de son temps. Comme
l’indiquaient les éditeurs dans la préface de cet ouvrage, il s’agissait d’y « présenter en
quelques pages la puissante création poétique de la 6e partie du globe […]. Il nous
fallait, d’autre part, choisir des oeuvres ayant à la fois une valeur représentative et
esthétique. Dans cet essai, nous nous arrêtâmes davantage aux poètes dévoilant la
tragédie de la Révolution : derniers échos d’une civilisation qui se meurt, espoir, joie
devant un monde qui naît : l’URSS. »68
42
Un mélange de noms établis et de noms émergeants constituait cette anthologie :
Bezymienski, Khlebnikov, Blok, Goumilev, Essenine, Pasternak, Jarov, Bedny, Aseev et
finalement Maïakovski. L’oeuvre de médiateur de Goriély n’en était qu’à ses débuts. Une
étude des nombreuses autres traductions qui parurent par la suite reste à faire, de
même qu’une analyse de son parcours en France, qui donnerait une autre dimension à
son action d’ensemble.
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11 Prospections I, décembre 1929, p. 1-3, 19-21.
12 Prospections II, 1930, p. 9-11.
13 L’adresse bruxelloise de cet éditeur – 223 chaussée de Wavre – est la même que celle de la
rédaction de Prospections. Il s’agissait probablement de la librairie de René Baert, comme
l’indique Goriély dans le tapuscrit de ses souvenirs.
14 Hélène Temerson, ép. Goriély (1898-1977). Née à Wlaclawek (Pologne), elle fréquenta la
faculté de Philosophie de 1921 à 1928. Elle fut diplômée docteur en philologie germanique avec
satisfaction au terme de ce parcours. Rôle des inscriptions de l’Université Libre de Bruxelles
pendant la troisième période trentenaire 1894-1895-1923-1924, Service des archives de l’ULB.
15 Je me permets de renvoyer ici à mon ouvrage La « Colonie » littéraire allemande en
Belgique 1914-1918, Bruxelles, Labor/Archives et Musée de la Littérature, 2003, p. 169-170.
Sternheim mourut à Bruxelles en 1942. La thèse d’Hélène Temerson, Die Dekadenz des
Bürgertums in Sternheims Dramen (Université Libre de Bruxelles, 1928), fut la première qui
lui fut consacrée. Benjamin Goriély et Hélène Temerson s’étaient séparés lors du départ de
Goriély à Paris. Leur fils, Georges Goriély (1921-1998), fit carrière comme professeur de
philosophie politique à l’Université Libre de Bruxelles (cf. GORIELY [Georges], Nationalisme et
idée européenne : Essais et réflexions. Textes réunis par Simone Goriely, Bruxelles, Éd. de
l’Institut de Sociologie de l’ULB, 2005). Leur petit-fils Serge Goriely vit comme auteurdramaturge
et enseignant-chercheur à Bruxelles.
16 Ces informations sont reprises des données répertoriées auprès du Fonds de l’A.I.U. (cf.
note 2). On épinglera dans la bibliographie reprise à cet endoit deux ouvrages publiés à Paris
mais qui se situent probablement dans le prolongement des années belges de Goriély :
MAÏAKOWSKI (Vladimir), Le nuage dans le pantalon. Traduit du russe par B. Goriély et R. Baert
et suivi d’autres poèmes traduits par N. Guterman, préface de Léon Trotski, Paris, Les Revues,
1930 ; GORIÉLY (B.), Les Poètes dans la Révolution russe, Paris, Gallimard, 1934. La traduction
de Maïakovski est recensée comme étant la première en volume dans BOUTCHIK (Vladimir),
Bibliographie des oeuvres littéraires russes traduites en français, Paris, Orobitg, 1935-1936, p.
94. Je remercie Svetlana Cecovic, qui poursuit actuellement sa recherche doctorale sur les
échanges et transferts belgo-russes dans l’entre-deux-guerres, de m’avoir fourni ce
renseignement.
17 GORIÉLY (Benjamin), Nul ne reconnaîtra les siens. Tapuscrit en français, 518 p. Fonds
Benjamin Goriely, Bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, Paris, AP 21/5. Je remercie
Serge Goriely d’avoir mis une copie de ce tapuscrit à ma disposition.
18 Ibid., p. 167.
19 Ibid., p. 168. Goriély confesse son ignorance totale de la « question flamande », le flamand
représentant pour lui au départ « une langue de second ordre qu’on parlait au marché ». Ce
n’est que plus tard, notamment après avoir écouté une conférence de Camille Huysmans à
l’Université Libre de Bruxelles, qu’il fut sensibilisé à la dimension sociale de cette question.
Entre-temps, il observait également le climat de ressentiment anti-allemand parmi la
population, auquel on associait les nationalistes flamands ayant collaboré sous l’Occupation :
« En 1922 en arrivant à Bruxelles, j’ai constaté, à mon grand étonnement, que la Belgique se
trouvait toujours psychologiquement en guerre. Il était dangereux de parler allemand dans la
rue et si quelqu’un employait une langue germanique comme le schwitzerdeutsch ou le yiddish,
immédiatement les passants s’arrêtaient pour l’insulter en criant ‘Boche’ » (ibid., p. 178).
20 Ibid., p. 171.
21 Ibid., p. 171. Goriély esquisse le parcours de Tougouchi, un Géorgien qui étudiait la
sociologie, quitta plus tard les Soviets pour devenir trotskiste et « glissa de plus en plus vers la
droite pour se rallier à l’hitlérisme », croyant notamment qu’Hitler rendrait son indépendance
à la Géorgie (ibid., p. 172). Il mentionne également le nom de Poznychev, président d’un cercle
d’étudiants soviétiques.
22 Ibid., p. 173.
23 Ibid., p. 173-174.
24 Cf. ibid., p. 177-178. À propos de War Van Overstraeten, cf. DE GEEST (Joost), War Van
Overstraeten, 1891-1981: Maître de l’Animisme, Labor, Bruxelles, 2003.
25 Nul ne reconnaîtra…, p. 179.
26 Cf. ESPAGNE (Michel), « Les transferts culturels triangulaires », dans IDEM, Les transferts
culturels franco-allemands, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 153-178. Le
triangle France-Russie-Allemagne permet à Espagne de complexifier « l’étude des imbrications
entre deux aires culturelles » par le biais d’un « réseau plus complexe de relations » (p. 153).
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entre deux aires culturelles » par le biais d’un « réseau plus complexe de relations » (p. 153).
Ainsi étudie-t-il plus précisément l’action médiatrice des enseignants russes qui initièrent à la
philosophie allemande dans le Paris des années 1920 et 1930 (p. 167sq).
27 Ibid., p. 190. Cf. note 15.
28 Cf. BROLSMA (Marjet), « Cultuurtransfer en het tijdschriftenonderzoek » [« Transfert culturel
et la recherche sur les revues »], dans COnTEXTES, n°4, L’étude des revues littéraires en
Belgique/ De studie van literaire tijdschriften in België, octobre 2008. URL :
htpp://contextes.revues.org/document3823.html. Consulté le 19 février 2014.
29 Orthographié indifféremment Maximof, Maximoff ou Maximov dans les publications belges
de Goriély.
30 Maximof, « Souvenirs de la révolution russe », dans L’Universitaire. Organe de la
Fédération Indépendante des Étudiants Socialistes de Belgique, 2e année, n°5, 13 janvier 1925,
[p. 3]. Ce journal s’affiche comme indépendant de tout parti, mais partisan des idées socialistes
et marxistes de toutes tendances, pour éclairer la signification des événements. Un exemplaire
des années 1924-1928 de L’Universitaire peut être consulté à la Bibliothèque Royale de
Belgique.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Maximoff, « Souvenirs de la révolution russe », dans L’Universitaire, 2e année, n°6, 27
janvier 1925, [p. 2].
34 Une traduction française de ce poème par Robert Vivier et Zénitta Tazieff était déjà parue
dans la revue Le flambeau en 1923. Cf. la contribution de Laurent Béghin à ce volume.
35 Maximoff, « Souvenirs de la révolution russe », dans L’Universitaire, 2e année, n°8, 24
février 1925, [p. 1].
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Maximoff, « Souvenirs de la révolution russe », dans L’Universitaire, 2e année, n°9, 10
mars 1925, [p. 2].
39 Ibid. Après s’être enrôlé comme volontaire avec un ami étudiant, Goriély aurait reçu
d’emblée quelques jours de congé, qu’il aurait indument prolongés en tardant à quitter « une
petite Moscovite » qui s’était évanouie à l’idée de le voir repartir ! Arrêté comme déserteur par
son ancien collègue d’armes, il fut contraint de se retirer de l’armée…
40 Ibid.
41 Nul ne reconnaîtra…, p. 189-190.
42 Les contributions de Goriély au Drapeau Rouge ne sont pas aisées à identifier car il n’y
signe jamais de son nom complet. Tout au plus trouve-t-on ses initiales B.G. sous l’article
« Littérature et marxisme. Une polémique entre critiques soviétiques » (dans Le Drapeau
Rouge, 29 février 1928, p. 4). Dans l’édition du 6 juin 1925, il avait déjà signé, sous le
pseudonyme de Guy, un article sur la conférence qu’Ehrenbourg avait donnée à l’invitation du
« Faisceau amical Belgique et Russie » et de la « Lanterne Sourde » ; dans celle du 4 juin 1925,
il était sans doute également l’auteur de l’article non signé sur « Les prosateurs russes
contemporains ». Au fil des années, la rubrique « Art et Littérature » du Drapeau Rouge –
figurant toujours à la quatrième et dernière page du quotidien communiste – fournit une
abondante et instructive matière quant à la médiation des littératures et cultures étrangères.
Sous son pseudonyme de Maximov (ou Maximoff), Goriély y contribue comme traducteur
(MAYAKOVSKY (Vladimir), « Les deux Moscou ». Traduit du russe par A. Habaru et Maximov,
dans Le Drapeau Rouge, 12 janvier 1927, p. 4) ou passeur de publications qui sont parues en
russe et dont il donne des échantillons inédits en français (GORKI (Maxime), « La jeunesse de
Maxime Gorki. Une autobiographie inédite ». Traduit par Maximov, Le Drapeau Rouge, 16
mars 1927, p. 4). Fort logiquement, il informe sur l’exposition du livre soviétique, qui fut
montée au « Palais Mondial » du Cinquantenaire à Bruxelles (MAXIMOFF, « L’exposition du livre
soviétique », Le Drapeau Rouge, 22 juin 1927), et qui montrait notamment en traduction russe
le Till Ulenspiegel de Charles De Coster et un volume sur Frans Masereel. Goriély traduisit
encore de l’allemand une interview d’Essad Bey avec l’écrivaine « demi-tatare » Lydia
Seyfullina, parue à l’origine dans la revue Die literarische Welt, suite à une visite de celle-ci à
Berlin (dans Le Drapeau Rouge, 8 juin 1927, p. 4). Cette médiation en triangle renforce la
légitimité commune d’une « nouvelle littérature » caractérisée ainsi par Seyfullina dans cet
entretien : « Nous sommes les écrivains de la classe ouvrière et paysanne. L’homme isolé ne
nous intéresse pas dans son individualité, nous voyons l’homme comme élément social dans
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nous intéresse pas dans son individualité, nous voyons l’homme comme élément social dans
ses rapports avec la généralité ». Je ne suis pas parvenu à déceler l’identification éventuelle de
Goriély avec Ariel, qui publia un article sur Maïakovski (dans l’édition du 27 juillet 1927) mais
aussi sur le poète polonais Jules Slowacki (22 juin 1927), les « tendances révolutionnaires dans
la poésie polonaise contemporaine » (5 octobre 1927) ou plus tôt sur Oscar Wilde (30 mars
1927). Difficile aussi de déceler si Goriély se cache derrière les noms de D. GORBOV., qui rédige
des articles sur « La littérature dans la Russie soviétique » (17 août et 14 septembre 1927) ou de
MAULIUS, auteur notamment d’un article sur « Poésie et révolution. Richesse de l’inquiétude »
(11 juillet 1928). En 1928, de nombreuses contributions sur la poésie et le théâtre russe ne sont
pas signées : « Art et révolution. Le théâtre Meyerhold » (19 septembre 1928) ; « L’activité
littéraire des peuples de l’URSS. Publication en 50 langues ou dialectes » (à propos des
groupements littéraires et de publications tatares et juives ; 6 juin 1928) ; « Art et révolution.
Le théâtre Granovsky à Bruxelles » (article figurant à côté d’une colonne sur « La littérature
juive en Ukraine », 22 août 1928) ; « La poésie russe contemporaine. Un précurseur :
Nekrasov » (1er février 1928) ; « L’activité littéraire des peuples de l’URSS » (3 mai 1928). Il
n’est certainement pas exclu que Goriély n’ait pas eu le monopole des publications sur la vie
littéraire en Union Soviétique et qu’une diversité de personnes se soient réparties ce champ
évidemment primordial pour le journal sur le plan idéologique. Une autre forme de médiation
consistait à donner la parole directement à des protagonistes soviétiques comme l’homme
politique et intellectuel Anatoli Lounatcharski (cf. « La situation des écrivains soviétiques », 18
janvier 1928 ; « Les conquêtes de la révolution culturelle », 14 novembre 1928).
43 Ibid., p. 191-193. Goriély et Habaru traduisirent ensemble le poème de Maïakovski « Deux
Moscou », décrit dans ses souvenirs comme « le premier texte de Maïakovski paru en
Occident » (Nul ne reconnaîtra…, p. 193).
44 Ibid., p. 205.
45 Ibid., p. 205.
46 Ibid., p. 202.
47 Ibid., p. 200. Le parcours de René Baert (1903-1945 ?), qui anima plus tard avec Marc.
Eemans la revue Hermes (dont Henri Michaux devient rédacteur en chef en 1937) et
qu’Eemans fit rentrer à la rubrique du journal rexiste Le Pays réel, reste à écrire. Il participa à
la vie culturelle sous l’occupation et, d’après un témoignage de Marc Eemans en 1995 « préféra
fuir en Allemagne où il fut arrêté et abattu, vraisemblablement par des soldats belges » (cf.
DEVILLEZ (Virginie), Le Retour à l’ordre. Art et politique en Belgique, Bruxelles, Labor/Dexia,
2003, p. 170 et 369).
48 Nul ne reconnaîtra…, p. 205-206.
49 Ainsi à propos de Pierre Hubermont, ce « fils de mineur […] élevé par les soins du parti
socialiste belge » et qui devait collaborer avec l’occupant nazi : « Hubermont est un
authentique traître : il a oublié son origine ouvrière, le parti qui l’a élevé, le journal qui l’a
formé et l’a fait vivre » (ibid., p. 194).
50 Cf. MORTIER (Roland), « Pénétration de la littérature russe à travers les revues belges entre
1880-1890 », dans Revue Belge de Philologie et d’Histoire, t. 45, fasc. 3, 1967, p. 777-794 ;
TROUSSON (Raymond), « La Jeune Belgique et les lettres russes », dans HERMAN (Jan) e.a. (éd.),
Lettres ou ne pas lettres. Mélanges de littérature française de Belgique offerts à Roland
Beyen, Louvain, Leuven University Press, 2001, p. 555-564.
51 Cf. DINESMAN (T.G.), Perepiska s Emilem Verkharnom, 1906 – 1914 [Correspondance avec
Émile Verhaeren] dans Literaturnoe Nasledstvo, tome 85 : Valerij Brjusov, Moscou 1976, p.
546 – 621; DRONOV (V.), Valerij Brjusov i Emil Verkarn Brjusovskie ctenija 1962 goda [Valéri
Brioussov et Émile Verhaeren. Conférences Brioussov 1962], Erevan 1963, p. 216-231. Je
remercie à nouveau Svetlana Cecovic de m’avoir fourni ces références bibliographiques.
52 DUCREY (Anne), « Alexandre Blok, le lecteur critique de Maeterlinck », dans Annales de la
Fondation Maurice Maeterlinck, tome XXX, 1997, p. 67-81 ; « Maeterlinck et la Russie : une
aura ‘Début de siècle’ » dans: Présence - Absence de Maurice Maeterlinck : Colloque de Cerisyla-
Salle, 2-9 septembre 2000, Bruxelles, AML, Labor, 2002, p. 351-368.
53 Nul ne reconnaîtra…, p. 186.
54 Verhaeren « était considéré par mon entourage comme un grand poète et d’avance j’étais
prêt à l’admirer : il ne m’a pas déçu. En Allemagne encore j’avais lu dans le journal intime de
Rosa Luxembourg sa description des pays flamands » (ibid., p. 186-187). Quant à Maeterlinck,
« je le connaissais déjà, non sa poésie mais son théâtre car L’Oiseau bleu a été joué au théâtre
Stanislawski tous les dimanches en matinée pendant des années et encore au début de la
révolution » (ibid., p. 188).
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55 Comme le précisent Bruno Naarden et Joep Leerssen dans leur synthèse sur l’image du
caractère des Russes à cette époque : « Much of Russian literature was considered to reflect a
temperamental disposition towards the anti-pragmatic, and a meditative, moral and even
mystical character » : NAARDEN, B. & LEERSSEN, J., « Russians », dans Imagology. The cultural
construction and literary representation of natiobal characters. Ed. by M. BELLER & J.
LEERSSEN, Amsterdam – New York, Rodopi, 2007, p. 226-230 (ici p. 229).
56 Cf. MUS (Francis), « Le dialogue entre la Belgique et la Russie. L’image de la Russie dans
quatre revues littéraires de l’entre deux-guerres », dans Textyles. Revue des lettres belges de
langue française, n°39/2010, p. 169-181.
57 BÉGHIN (Laurent), Robert Vivier ou la religion de la vie, Bruxelles, Le Cri/ Académie Royale
de Langue et de Littérature Françaises, 2013, p. 103-114.
58 Cf. la contribution de Laurent Béghin à ce numéro.
59 G. BENGOR [B. GORIELY], « La jeunesse des écoles », dans Tentatives, juin-juillet 1928, p. 8.
60 Ibid.
61 Ibid., p. 9.
62 « Ce sont des paysans ignorants, malgré l’origine souvent aristocratique. Ils avouent
franchement, que sauf les quelques classiques qu’ils ont dû apprendre à l’école, ils ne
connaissent rien. […] Une étudiante en sciences, qui passe ses examens avec la plus grande
distinction, était certaine que l’Évangile fut écrit avant l’Ancien Testament et se montrait
furieuse quand son amie lui objectait que le christianisme est sorti du judaïsme. ‘Comment,
vous dites. Christ était Juif ? C’en est trop ; ne me parlez plus’. Un étudiant en philosophie et
lettres ignorait que les orthodoxes fussent des chrétiens ; le même croyait que l’Ukraine se
trouve au nord de la Russie. Tout cela paraît anecdotique. Ce sont des exemples authentiques,
qui malheureusement caractérisent la mentalité de toute notre jeunesse des écoles. Ces jeunes
gens bornés font des études supérieures, car le diplôme leur octroie des privilèges et le moyen
de se créer une carrière avantageuse. Elle est pratique, notre jeunesse bourgeoise ! Elle ne perd
pas beaucoup de temps, elle suit tous les cours, elle ‘bloque’ le dimanche et deux mois avant les
examens l’étudiant ne voit plus le monde extérieur. Pour un jeune homme qui étudie, sans
curiosité, sans intérêt, sans amour – c’est un courage, qu’il faut admirer ! » (p. 9).
63 Ibid., p. 10.
64 GORIÉLY (Benjamin), « Littérature de transition », dans Tentatives, février/mars 1929, p. 13-
15 (ici p. 13).
65 Ibid., p. 13. Goriély souligne. Les citations qui suivent sont toutes issues des p. 13-15 du
même article.
66 Goriély souligne.
67 GORIÉLY (Benjamin), « Littérature prolétarienne », dans Prospections I, 1930, p. 19-21.
Toutes les citations qui suivent sont issues de cet article. À l’endroit de sa parution, cet article
n’est pas signé. Mais au bas du dernier article de Goriély, « La pensée bourgeoise devant la
religion », paru dans le numéro II de Prospections (p. 9-11), un erratum signale qu’il était
également l’auteur de l’article du numéro I.
68 GORIELY (Benjamin) & BAERT (René), La poésie nouvelle en URSS Anthologie, Bruxelles,
Éditions du canard sauvage, [1928], p. 9.
Table des illustrations
Titre Benjamin Goriély
Crédits Avec l'aimable autorisation des archives de l'Alliance israélite universelle
(Paris)
URL http://textyles.revues.org/docannexe/image/2540/img-1.jpg
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Pour citer cet article
Référence papier
Hubert Roland, « Le parcours de Benjamin Goriély en Belgique (1921-1930) », Textyles,
Le parcours de Benjamin Goriély en Belgique (1921-1930) 12/09/16 13:33
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